SITTIN’ ON THE TOP OF THE BLUES !!!

Les Trois BOB ’ S

Il est des Everest qui sont faciles à gravir, pour peu qu’ils ne soient pas dans l’Himalaya.
Le nôtre, ce soir-là, était situé dans un Palais de bois, de verre et de béton, posé non loin de la Mer du Nord, si proche qu’il est parfois frappé par les embruns, le bien nommé Palais du Littoral à GRANDE SYNTHE.
Si vous n’êtes pas familier de ce que l’on appelle maintenant « les Hauts de France », ne cherchez pas, mais sachez qu’on est près du grand Port de Dunkerque et qu’en matière de Hauts, on peut difficilement faire mieux en France.
C’est là qu’un groupe de passionnés, pour la plupart bénévoles comme c’est souvent le cas dans le Blues, a construit depuis plus de 15 ans l’un des festivals incontournable du paysage musical français : le BAY CAR Blues Festival, par allusion et détournement du mot « bécarre », cette altération du ton bien connue des musiciens.
Chaque année il « faut » être au Bay Car, car la programmation y est souvent remarquable, tant par la qualité des artistes que par le caractère pléthorique des programmes, généralement trois bons groupes par soirée !
Nous y étions donc ce Samedi 5 Novembre 2016, regroupés là entre passionnés, comme pour assister à une messe incontournable.
Au programme ce soir-là un groupe dont le nom avait comme un parfum de « marketing » : The 3 Bob’s Blues. On pouvait se dire, allez, on met ensemble trois gars qui s’appellent Bob, qui savent jouer le Blues et c’est un truc qui marche !
Ces trois-là s’appellent bien Bob, mais ils n’étaient pas réunis par hasard et l’on a côtoyé là les sommets du Blues.
Commençons par l’aîné pour ne pas dire l’ancêtre (en toute révérence !) : Bob STROGER. Ah, il a effectivement quelques heures de vol ce Bob-là, en fait près de 32.000 jours de vol si vous comptez bien (86 ans x 365jours). Et en dépit de cet âge qu’on qualifiera de respectable, il a fière allure : silhouette droite et mince, gilet clair impeccable sur un ensemble chemise pantalon foncés et chapeau du même tonneau. Et cette peau si belle et si noire des habitants de son Missouri natal. Et ce sourire radieux qui ne le quitte pas. Bob STROGER est à la basse, bien sûr, et il ne ploie pas sous les quelques kilos de sa grosse quatre cordes. Mais ce Bob-là est également un bon chanteur et ses comparses lui laissent volontiers la part belle pour quatre ou cinq morceaux en solo vocal, au cours desquels il va descendre dans la salle pour draguer (gentiment) les plus belles femmes au son d’un « You’re so Sweet » à la fois comique et émouvant. Et le plus extraordinaire est qu’il remontra sur la scène, escaladant un bon mètre d’estrade, sans marche ni escalier. Et tout ça à 86 ans !
Le deuxième Bob a toujours son air de Bull dog un peu renfrogné ; il pointe le manche de sa guitare vers vous comme s’il brandissait une arme, mais il n’en sort … que des rafales de notes. C’est Bob MARGOLIN bien sûr. Alors son plus grand fait d’arme est naturellement d’avoir été le guitariste de l’orchestre de Muddy Waters pendant 6 à 7 ans, mais quand on pense qu’il était blanc et n’avait qu’une vingtaine d’années à l’époque, on peut penser que ça voulait dire quelque chose. Au fil du concert, et après quelques titres, les commissures tombantes de chaque côté de la bouche se relèvent et … il sourit. Il nous dit même qu’il est « honoré de jouer du Blues sur cette scène » et, même si l’on sait que les musiciens usent de ces formules dans chaque concert, ce soir-là j’ai eu la faiblesse de le croire, car il semblait sincère et heureux d’être sur scène.
Il faut dire qu’après un ou deux titres de son répertoire personnel, on est entré de plein pied dans le blues que tout le monde attendait, le vrai, l’ancien, enfin le « vieux » blues traditionnel et là, le public un peu dans la retenue jusque-là, s’est lâché et a enfin participé, applaudi, sifflé et crié et ça, ça plait aux musiciens.
Le troisième Bob est peut-être le moins connu, je dis bien peut être. Imaginez un type portant très bien sa soixantaine, des cheveux noirs de geai très gominés, avec une banane un peu à la Ritchie Valens ; si l’on ne savait pas qu’il joue le blues, on pourrait le prendre pour un rocker latino des années 50/60 ! C’est Bob CORRITORE. Né à Chicago, mais blanc, c’est là qu’il a du s’imprégner de ce blues fondamental. Il est devenu l’un des meilleurs harmonicistes dans cette catégorie musicale et il a selon moi ce « touché » d’harmo que pouvaient avoir un Little Walter ou un Junior Wells. Son harmo, qu’il tient assez bizarrement, toujours vissé à la bouche, les yeux mi-clos, il fait merveille dans ce blues « traditionnel » mais si authentique.
Le répertoire joué ce soir-là ? Ah, on reste dans le traditionnel ; Margolin qui fait l’essentiel du travail au chant, nous imitera plutôt bien son ancien patron, faisant revivre tant dans les intonations que la gestuelle, un Morganfield presque aussi vrai que nature !
Avec ses deux comparses et en parfaite harmonie, il nous assénera, entre autre, un « I’m A Man » (Mannish Boy) d’anthologie, déchaînant littéralement le public qui exultait, forcément ! Il fera suivre cette fresque brutale d’un gentil « How Long », en hommage à Pinetops Perkins, ce grand pianiste de Blues et de boogie woogie, qui joua lui aussi dans l’orchestre de Muddy Waters, en remplacement d’Otis Spann.
Oh ! Mais j’allais oublier ! il y avait un étranger dans ce groupe ! oui, le batteur était français (s’il vous plait !) : Simon BOYER, il fut somptueux ! lui aussi est devenu l’un des meilleurs de sa catégorie.
Voilà donc la recette du succès : vous prenez trois gars, qu’ils s’appellent Bob ou pas d’ailleurs, avec un bon batteur, qui savent vraiment jouer le blues, des authentiques, des originaux, vous les mettez sur une scène devant un public de connaisseurs et vous leur faites faire ce qu’ils savent le mieux : nous délivrer un blues roots, lui aussi tout authentique, sans fioriture, mais aussi solide qu’impérissable !
J’ai connu de beaux moments d’émotion dans certains concerts, mais ce soir-là, à quelques encablures de la Mer du Nord, nous avons vécu un très grand moment de blues. Nous avons atteint des sommets et pour parodier la chanson de Walter Vinson (… She’s gone, but I don’t worry, cause I’m sittin’ on the top of the World !) il pouvait bien se passer n’importe quoi dehors et dans le monde, car nous étions au sommet du Blues !

Novembre 2016.

JEAN MARC
cb.blues@numericable.fr
Emission « Highway 55 »
Collectif des Radios Blues